L’économie de l’éphémère

Article : L’économie de l’éphémère
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27 décembre 2012

L’économie de l’éphémère

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Par Thélyson Orélien

L’été dernier, moi et un vieil homme, retraité des forces armées canadiennes, on s’était donné rendez-vous au Van Houtte le proche de la rue Sherbrooke Est après une courte prise de parole dans un dépanneur tout proche. 

J’adore les conversations plus ou moins sérieuses avec les personnes âgées qui reconnaissent bien que la jeunesse n’est ni une culpabilité ni un péché: «Il fut un temps, me dit-il, l’idéal c’était la continuité. Quand un homme avait un travail à faire, qu’il s’agisse de la confection d’une paire de chaussures ou la construction d’une église, il consacrait toute son énergie créatrice et productrice à rendre son oeuvre aussi résistant que possible. Il travaillait en pensant aux années à venir.»

Dans la mesure où la société d’hier ne connaissait que peu de changements, un objet avait une fonction bien définie et la logique économique appelait une politique de la permanence. Des choses qui coûtaient plus cher et duraient cinq à dix ans revenaient moins cher, même si elles avaient besoin de réparation de temps à autre, que d’autres coûtant moins cher, mais ne durant qu’un an. Toutefois, avec l’accélération générale du rythme de l’évolution sociale, la politique de la permanence cède la place, nécessairement à l’économie de l’éphémère.

Premièrement… le progrès de la technologie tend à réduire considérablement le coût de la production plus rapidement possible que celui de la réparation, car la première est un processus automatique, alors que la seconde est en grande partie une opération artisanale. Cela signifie qu’il est souvent moins coûteux de remplacer un objet par un autre que de le réparer. Du point de vue économique, la fabrication d’objets à bon marché, non réparables et bons à jeter après usage, est un choix  rationnel, même s’ils ne durent pas aussi longtemps que d’autres, réparables.

Deuxièmement… le progrès de la technologie nouvelle permet de perfectionner sans cesse les objets. L’ordinateur que j’utilise présentement est bien meilleur que l’ancien que j’avais et me revient plus cher, comme on peut le prévoir, mais cela pourrait me coûter encore plus. Car les développements de la science et de la technologie entraîneront des améliorations encore plus nombreuses et plus fréquentes, il est souvent plus sage, économiquement parlant, de fabriquer pour une durée limitée que pour longtemps. Dans les régions urbaines du Québec, certains immeubles d’habitation sont abattus au bout de quelques années d’existence, car les perfectionnements apportés au système de conditionnement d’air dans les immeubles nuisent à la rentabilité, il revient moins cher de démolir des immeubles qui ont, par exemple, dix ans ou vingt ans, que de les modifier.

Troisièmement… à mesure que l’évolution de cette civilisation s’accélère et qu’elle gagne du terrain dans les recoins les plus reculés de notre société, il devient de plus en plus difficile d’imaginer avec certitude les besoins de demain. Nous devenons de plus en plus des gens qui ont conscience du changement inéluctable tout en ne sachant pas trop à quelles exigences nous devrons en faire face. Parce que nous travaillons au plus vite pour rendre le produit adaptable, nous hésitons à engager des moyens important pour une utilisation une fois pour toutes. Et notre objectif est le court terme.

Finalement… l’essor de cette civilisation du tout aux poubelles est une réaction avec des pressions irrésistibles avec des avantages et des inconvénients. Nous assistons aujourd’hui à la réaction en série d’objets modifiés génétiquement et spécialement pour avoir plusieurs usages momentanés au lieu d’un seul. Ce ne sont pas toujours des articles à jeter forcément, car certains sont d’ordinaire trop cher pour cela, mais sont construits de façon à être démontés après usage et remontés ensuite à un autre endroit si nécessaire.

Nous sommes encore là, au Van Houtte à la rue Sherbrooke Est, non loin Des Ormeaux, le vieil homme en face de moi me dit: «Il y eut un temps, les traits étaient relativement permanents, où un homme pouvait s’attendre à ce que ses enfants, et peut-être même ses petits-enfants jouissent des mêmes choses que lui, aujourd’hui tout a changé, les bureaux d’étude d’ingénierie et d’architecture nous inondent de tout un attirail d’édifices provisoires réutilisables, depuis les coupoles géodésiques des pavillons d’exposition jusqu’aux sphères en plastique gonflables qui servent de postes de commandement ou de bureaux de chantier, ces super constructions ne sont que du modernisme à l’éphémère, une civilisation du tout aux poubelles.»

Parce que notre temps est révolu. Parce que le temps par définition n’est qu’éphéméride, petit et même démontable.

Thélyson Orélien in La Presse.ca

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